Un peu de concentration [PV Rimaï J. Godwyn]

En pleine après-midi, je viens de terminer un cours et n'en n'ait pas d'autre aujourd'hui. L'avantage du lycée est que certains horaires sont cool, et qu'il arrive qu'on n'ait pas cours pendant des journées entières. Je profite de mes quelques heures libres avant le dîner pour tenter de maîtriser ma capacité. Si je travaille la métamorphose en cours, je préfère apprendre à maîtriser l'aerokinésie seul dans mon coin, parce que certains gars de ma classe s'amusent à faire des courant d'air tout le temps pour m'empêcher de progresser. Je me rends donc dans la cours intérieure, là où les éléments naturels sont le moins susceptibles de compliquer mes entraînements. J'ignore encore de quoi je suis capable grâce à mon don, mais contrôler les éléments c'est forcément pratique à un moment donné. Donc, déterminé, je persévère chaque jour et je donne le meilleur de moi-même pour parvenir à comprendre mes sens et contrôler mes aptitudes. Quand j'arrive dans la cours intérieure, elle est vide. Je m'en réjouis, moins le nombres de personnes m'entourant sera élevé, et plus mes chances de parvenir à atteindre un objectif seront nombreuses. Je lâche un long soupire pour me concentrer, et je me trouve un coin tranquille au cas où quelqu'un viendrait ici. Derrière les vitres de l'endroit, le soleil brille de mille feu. Le prof' de métamorphose m'a dit qu'un jour, quand mes pouvoirs seront pleinement développés, je serais capable de faire venir les nuages et de changer le temps selon mes humeurs. Je souris à cette pensées, mais je sais bien que je suis très loin d'avoir un tel contrôle de mes capacités et pour le moment je ne parviens qu'à foutre en l'air mes dossiers de cours quand mes émotions sont trop fortes et qu'elle donnent malgré moi libre court à mon pouvoir. J'inspire profondément, je m'assois en tailleur derrière un arbre, je pose mon sac de cours à côté de moi et je sors une feuille de papier vierge que je pose à plat devant moi. Mes objectifs sont à la hauteur de la confiance que j'ai en moi : Basse. Ce que j'aimerais au jour d'aujourd'hui, comme depuis la rentrée scolaire pour être honnête, c'est simplement faire décoller cette feuille du sol. Je ne cherche pas à l'envoyer à un mètre du sol, non. J'aimerais juste qu'elle ne touche plus les brins d'herbe le temps d'un instant. Je ne suis pas prétentieux, je suis prêt à patienter et je veux progresser doucement si c'est nécessaire. Mais je veux à tout prix m'améliorer. Et ce n'est réellement pas facile, franchement ! Depuis maintenant presque quatre mois que je suis dans cette école, je n'ai encore jamais réussi à faire venir une brise volontairement. Je n'ai été capable que de déclencher de violentes bourrasques en m'énervant ou en ayant peur, ou une quelconque émotion trop forte. Un jour, une jolie fille est passée devant moi pendant que je parlais avec un copain. J'ai été tellement surpris quand il m'a fait sortir de mes pensées, que j'ai fait voler son calepin jusqu'à la belle inconnue. Je me suis senti si gêné que je suis parti en courant, sans même aider mon ami à récupérer ses affaires. C'est ce genre de mésaventures que j'aimerais ne plus jamais vivre, mais je sais que ça m'arrivera encore souvent avant que je parvienne à me contrôler de manière réflexe. Je ferme les yeux un long moment, laissant filer les secondes volontairement pour tenter de me concentrer. Quand je les rouvre sur la feuille de papier, elle n'a pas bougé d'un millimètre. J'essaie de la visualiser dans les airs pour que ma volonté force mes pouvoirs à faire surface, mais rien ne se passe. J'essaie encore et encore, de longues minutes durant, ne perdant pas espoir et prenant chaque échec pour une nouvelle étape.

HRP:

Concentré sur ma feuille blanche, je suis toujours en plein échec quand une voix m’interpelle, derrière moi. Je me retourne lentement, minimisant l'effet de la surprise, et je lève les yeux vers l'adulte et le détaille une seconde, pour me remettre son visage en tête et laisser l'image de la feuille de papier s'évaporer loin de mon esprit. Je me redresse, de ma lenteur exagérée, et époussette mon jean l'air de rien. Un surveillant, je crois. A son jeune âge, je suppose qu'il n'est pas prof' ou alors, il sort tout juste de ses concours. Son visage est franc, et je devine à ses paroles qu'il n'est pas le genre à tourner autour du pot. J'espère, inconsciemment, qu'il ne restera pas là longtemps, parce que sa présence provoque de légère brises et chacun de ses mouvements pose une difficulté supplémentaire à mes efforts.

- J'n'ai plus cours, je révise.

Si je suis quelque peu impressionné par sa présence, je n'en laisse rien paraître et mon regard lassé peut lui faire croire que je suis agacé d'avoir été découvert, mais ce n'est pourtant pas le cas, simplement je suis fatigué de me concentrer chaque jour davantage pour toujours le même résultat : Rien du tout. Déjà deux mois que je suis au Pensionnat, pratiquement le même temps depuis mon premier "accident", et je ne vois toujours pas la moindre amélioration. Je dois avouer que malgré ma détermination presque légendaire, je commence doucement à perdre espoir...

Je n'avais jamais entendu parlé des "effets secondaires" à l'entrée dans cette école. Je savais que nous y étions internés dans un pensionnat et que, en tant qu'élèves, nous n'avions pas de moyen de communication avec nos familles. Ca ne m'a jamais posé plus de problème que ça, j'ai toujours été un indépendant et même quand, gamin, je partais en camps de vacances, je n'éprouvais pas le besoin de joindre ma famille pour leur dire comment j'allais. Je pars généralement du principe que si je n'ai pas de nouvelles, c'est que tout va bien et qu'il n'y a rien à ajouter. Aussi ne me suis-je jamais inquiété ni pour ma famille, ni pour le monde extérieur. Après tout, j'ai bien d'autres choses à penser ici, entre mes nouvelles "capacités" que je me vois pour le moment incapable de contrôler, et mon pouvoir de métamorphose qui lui, par chance, ne s'est jamais encore manifesté. Quand je vois certains élèves se changer en ours en plein cours, honnêtement je m'inquiète davantage pour mon propre cul que pour celui des autres, dehors ... Le surveillant, satisfait de ma réponse, s'éloigne un peu de moi pour s'affaler sur un banc. Bon, s'il s'immobilise et qu'il ne bouge plus, sa présence ne devrait pas trop me gêner. Je le regarde quelques secondes, me demandant s'il va rester là ou s'il va, finalement, repartir d'où il est venu, puis il lâche un vague "ok" avant de bailler d'un air parfaitement naturel. Je soupire doucement en baissant mon regard vers le sol, et je reporte mon attention sur ma feuille, me retournant de dos à l'adulte.

Concentré sur ma tâche, j'entends cependant parfaitement la respiration tranquille du surveillant et les frottements de tissu lorsqu'il croise les jambes. Patient, j'attends qu'il cesse de bouger définitivement avant d'essayer une énième fois de faire voleter cette fichue feuille blanche. Rien. Rien, rien et encore rien ! Puisque mes efforts ne mènent qu'au néant, je range ma feuille dans mon sac avec agacement, et je m'apprête à quitter les lieux. Mais, alors que je me relève lentement, comme à mon habitude, et que mon regard se pose machinalement sur le pion toujours assis, quelque chose attire notre attention à tous les deux. Je n'sais pas si le son est proche ou si, comme moi, il a des sens plus développés que la moyenne -ce qui dans mon cas, est dû à mon arrivée dans ce for étrange pensionnat- mais quoi qu'il en soit nos têtes se tournent de concert dans la direction du son suspect. Je guette la réaction du brun du coin de l'oeil, et ce dernier se lève pour se diriger très lentement vers l'origine de ce qui a attiré notre attention. Intrigué par sa façon de marcher, je le suis des yeux pendants quelques pas, jusqu'à ce qu'il ... Disparaisse en un coup de vent ? Est-ce que je viens de l'envoyer valser sans l'avoir voulu !? Inquiet, je tourne vivement la tête dans la direction de la bourrasque que je viens de ressentir, pour trouver le pion avachi par terre, complètement sonné. Oh bon sang ! Est-ce que je viens de le balancer involontairement contre ce mur !? Alors que je suis plutôt du genre à me déplacer lentement pour ne pas gaspiller mon énergie, je me précipite vers lui. Il s'est déjà redressé quand je l'ai rejoins, mais je ne peux m'empêcher de lui tendre une main malgré l'évidence que je ne pourrais pas l'aider à se relever, si l'on compare nos poids respectifs.

- Oh bon sang ! Je suis désolé ... Est-ce que c'est moi qui ... !?

En fait, je suis persuadé que c'est ma faute, mais j'ai cette note d'espoir, qu'il me dise qu'en fait c'est lui qui est tombé amoureux du mur en une fraction de seconde et qui, mu par un élan d'affection, à voulu l'embrasser aussi brusquement. Je regarde son nez en sang, sincèrement désolé de ce que je viens de lui faire subir. Comment lui dire que j'n'ai réellement pas fait exprès ? Me croira-t-il seulement ?

Je m'attends sérieusement à me faire enguirlander ou même, et je le mériterais probablement pour avoir refait le portrait à un surveillant, coller. L'adulte repousse ma main d'un geste brusque, se stabilisant seul contre la proie vitrée tâchée par son sang à lui. Je fixe la tâche avec incertitude, regrettant amèrement ce qui vient de se passer. Et puis, il m'assure que ce n'est pas moi, que c'est en fait un certain "boulet". Je ne suis pas trop idiot, et je devine de quel sorte de boulet il s'agit. Je reste muet, suspicieux quand à l'état de son cerveau après un tel choc. Ramolli ? Mou ? Complètement écrabouillé ? En fait, je doute de vouloir vraiment le savoir. Je soupire doucement, le regardant sans cesser pendant plusieurs secondes.

Je n'ai alors que le temps d'entendre le crissement du verre quand sa main dérape à cause de son propre sang, et le voilà qui perd l'équilibre. Ben oui, on mange pas un mur pour faire un triathlon la seconde qui suit ! Parfois, les adultes semblent réfléchir moins bien que les jeunes ... J'en suis à cette réflexion personnelle quand le poids du surveillant s'ajoute brusquement au mien, me forçant à m'étaler au sol, mon dos frappant presque de plein fouet le sol dur. A ceci près bien sûr que, par réflexe, j'ai plié mon coude vers l'arrière pour tenter de me rattraper un minimum. Je m'écrase donc sur le coude dans une grimace de douleur et de surprise mélangées, tandis que mon autre bras est collé au torse de l'adulte comme si ma force de gosse de quatorze ans pouvait empêcher son corps de m'écraser. Fort heureusement pour moi, lui a tendu les bras devant lui pour se rattraper, ce qui lui a évité de me broyer la cage thoracique. Un léger soupire de soulagement m'échappe.

- - Tu vas bien ?

- Euh ... J'suis pas mort. Si ... Si vous pouviez ... Par contre ... Vous relever ...

Et j'amorce ma propre échappatoire en commençant à ramper hors de son étreinte, tandis que lui commence à se redresser. Mais je perçois une hésitation, et son regard semble tanguer au moins autant que son corps. Je rechigne à donner des conseils à un adulte, mais celui-là ne m'a pas l'air aussi futé qu'un adulte lambda.

- P'têt' ... Enfin ... Rester assis un moment, z'avez envisagé ? 'fin ... J'sais pas ...

Dans un élan réflexe, je me redresse sur mes jambes et observe le surveillant d'un oeil critique. J'suis pas sûr qu'il ait l'idée de prendre un peu de temps pour se remettre. Sa chute a quand même été assez violente, surtout après la beigne qu'il s'est prise par le mur de verre. Machinalement, dans un soupire tandis que le pion roule au sol, je sors un kleenex de ma poche et je commence à essuyer la paroi sans vraiment réfléchir à ce que je fais.

Quand je lui donne un conseil de manière assez contrite, je le vois dans le verre qui se redresse et s'assoit. Les adultes sont bornés. Dans leur tête, les gosses n'ont pas leur mot à dire et c'est leur avis qui compte le moins. Je soupire une nouvelle fois en absorbant dans le mouchoir en papier, les dernières traces de sang. Il reste des traînées transparentes, mais je suppose que le passage du personnel ménager fera rapidement disparaître ces marques.

Je reporte mon attention sur le vrai surveillant et plus sur son reflet. Adossé au mur transparent, sa main vient se poser sur son visage marqué et dégoulinant de sang. Il soupire longuement et, avant que j'aie le temps de lui proposer un kleenex, il essuie sa main sur son jean. Juste après, c'est un regard sombre qui me toise, comme si tout était ma faute et que je n'avais rien à faire dans les parages. Pourtant, je soutiens ce regard sans hésiter, le mien ne laissant pas paraître la moindre lueur d'animosité.

- J'ai autre chose à faire que glander assis dans une serre avec un môme.

Dans d'autres circonstances, face à un autre élève, il aurait probablement essuyé un début de conflit. Moi, je soupire et j'appuie mes épaules au mur de verre en lui tendant mon paquet de mouchoirs à bout de bras. Mon regard se perd à l'autre bout de la serre, sans que j'éprouve le besoin de lui repprocher l'appellation de "môme".

- Comme ... Traîner dans les couloirs en attendant qu'un "môme" fasse une connerie ?

Tout comme la voix du surveillant ne m'a pas paru lancer une insulte malgré la froideur de ses mots, ma réponse n'est pas un appel à l'irrespect. Simplement lui faire comprendre que là où ailleurs, son boulot consiste la majorité du temps à "glander avec des mômes".

Il se redresse en s'aidant de la paroi de verre, je ne le regarde plus. Loin, à l'autre bout de la serre, un élève vient d'entrer et s'active près des étagères probablement à la recherche d'un ouvrage particulier. Mon temps de travail est réduit à néant, et encore aujourd'hui je n'aurais pas réussi à faire décoller du sol cette fichue feuille de papier. Pourtant cette fois, ça aurait dû marcher ! J'aurais dû pouvoir lui faire quitter la surface ! Elle était vierge, pas alourdie par l'encre. J'aurais dû réussir !

- C'n'est pas faux. Désolé d'avoir failli te blesser petit.

Je pose mon regard vert sur le surveillant, dont le visage s'est littéralement transformé, maintenant qu'un sourire, aussi discret soit-il, l'habille. Je le regarde plusieurs secondes sans réaliser l'insistance avec laquelle je le fixe. J'hausse finalement les épaules en réponse à ses excuses.

- Je m'appelle Isaac, m'sieur.

Je grimace légèrement quand j'entends ses os craquer, mais je ne fais aucun commentaire. D'où je viens, être sensible à ce genre de chose pousse les autres à le faire encore plus souvent en votre présence. Je reste appuyé contre le mur sans davantage m'intéresser à l'adulte qui déjà, s'éloigne vers la sortie. C'est là que je comprends pourquoi l'élève est entré, tout à l'heure. Il pleut des cordes, dehors. Apparemment elle dissuade le pion de m'abandonner là, et il préfère prendre d'assaut le banc le plus proche où il s'installe l'air de rien, comme si il avait été seul ici depuis le tout début. Comme si, en fait, je n'existais pas. Haussant les épaules, résigné à mettre fin à cette rencontre, je me dirige vers mon sac que j'ai abandonné au milieu des livres quand lui s'est pris le mur. Je range mes affaires, et je passe la bandoulière par-dessus mon épaule. Mais quand je passe devant le surveillant, il ouvre subitement les yeux, semblant chercher quelque chose partout dans la serre. L'autre élève, peut-être ?

- Qu'est-ce que...

Je hausse un sourcil, intrigué. Quoi ? Il a entendu quelque chose ? Moi qui d'habitude ne peux m'empêcher d'être sensible à tous les bruits qui m'entourent, je suis surpris de constater que je n'ai rien perçu d'anormal. Les froissements des vêtements de l'autre élèves, le bruit des livres qui glissent les uns sur les autres avant d'atterrir dans ses mains, le clapotement de la pluie sur les vitres, une blanche qui tape doucement sur une paroi de verre... Mais hormis ces sons, rien de particulier.

- Un problème, m'sieur ?

Je le regarde avec intérêt, curieux de savoir ce qui peut bien le porter autant aux aguets. Etrangement, je sens l'énervement qui le prend malgré son immobilité, et j'ai la curieuse impression qu'elle est contagieuse, comme si, intérieurement, j'avais envie de courir partout et de ne mettre à renifler tous les recoins pour comprendre ce qui l'intrigue ainsi. Mais moi aussi, je reste parfaitement immobile à côté de lui.

Je regarde toujours le surveillant, mais derrière moi j'entends l'autre étudiant qui est déjà reparti d'où il était venu. Il aura fait vite, je pourrais peut-être reprendre mes essais avant qu'un autre élève ne vienne troubler le calme de l'endroit et l'apaisement de l'air qui m'entoure. Le surveillant me répond que rien ne dérange, comme si je m'étais imaginé son air guetteur de tout à l'heure. J'inspire subtilement, et je hausse à nouveau les épaules en signe d'acceptation. Il n'y a rien à voir.

Alors, sans un mot de plus, l'adulte se lève et commence déjà à s'éloigner. Dehors, le temps se calme presque aussitôt. Ce n'aura été qu'une averse passagère, mais les nuages sombres à l'horizon ne présagent rien de glorieux. Ce n'est pas terminé, il ne s'agit là que d'une courte pause avant que pluie ne recommence à frapper violemment les vitres de na grande serre. Mon sac sur mon épaule, je regarde le pion qui pose ses yeux sur moi et me conseille de retourner dans les dortoirs avant le repas.

J'acquiesce en silence, je serre la bandoulière de mon sac machinalement, et je regarde le surveillant disparaître derrière la porte avant de faire demi-tour pour traverser la grande serre et rejoindre les dortoirs. Là-bas, au moins, peut-être que j'aurais un peu de calme pour essayer une dernière fois de contrôler mes capacités. A condition bien sûr que mes partenaires de chambre ne soient pas là avant un petit moment, et je compte sur les cours pour les retenir encore quelques heures afin de me laisser un certain répit.